Hier encore deux petits riens existaient.
Dans le ventre d'une femme, heureux je dormais.
Me berçant de son amour, avec elle je vivais.
Avec la lune, cependant, virent les turbulences
Où tous deux devions connaître la souffrance
D'un monde sauvage qu'ils appellent réalité.
Des anges rieurs m'ont enlevé pour me laver,
Me préparer au long dressage qui devait commencer.
Et tel un prisonnier je reçu un matricule.
Forçant au plus profond de mes cellules,
Ils virent effacer tout ce que déjà je sentais,
M'obligeant à comprendre ce que de moi ils attendaient.
Me racontant ce que leur vie avait été,
Dans ma tête ils forcèrent des notions de bien et de mal,
La sainte bénédiction et la juste morale.
Apprendre à compter, pour devenir le plus fort !
Apprendre à parler, mais surtout pas trop fort !
Et ainsi purent s'ouvrir les portes de la libre société.
Le droit de produire, de vendre et d'échanger,
Mais sans oublier de payer son droit d'exister.
Car attention, ici, il est interdit de rêver !
Dans un monde d'étoiles je parvins tout de même à m'envoler,
Avec l'âme soeur que j'avais enfin retrouvée.
Mais ils me condamnèrent aussitôt d'avoir pêché.
La tentation est mal, le sexe est sale !
Sois bon, propre et soumis !
Ainsi pourras-tu aspirer au paradis.
Espéraient-il vraiment m'empêcher de savourer
Mon écrasante victoire sur leur absurdité ?
Touchant par mon acte l'éternelle continuité,
De mon âme inconsciente je remplissais ma seule destinée.
Alors un soir qu'ils me crurent endormi,
Heureux, serein et entier, je m'enfuis.
Les molécules de mon être par milliards s'évaporèrent
Pour retourner une à une dans l'immensité de la mer,
Berceau de toute vie. Maman, enfin nous sommes unis.
À ma mère,
(Madrid, Novembre 1992)